mercredi 23 novembre 2005

PORTRAIT CHINOIS (1) : SI J'ÉTAIS UN FILM...

A cause du Portrait Chinois de ma breda
et de ma propre et ancienne incapacité à dresser un tel tableau. J'en suis incapable, j'y répugne, donc j'essaie. Exigence masochiste.

Si j'étais un film, donc, je serais probablement un de ceux de Visconti. Pas Le Guépard. Plutôt Les Damnés, ou Violence et Passion ou Ludwig.
Un de ces films que j'ai découverts adolescente —je m'en souviens très bien, j'avais quatorze ans, j'étais en seconde, et seule chez moi pour quelques jours, pour la première fois; j'en avais profité pour regarder le "Cinéma de Minuit". Certainement cette solitude, cette obscurité, ont joué dans mon émerveillement. Blottie dans le salon silencieux, à l'heure où dormait le soleil, où dormait mon ancien monde diurne de fillette, je regardais, fascinée. Découvrant, c'est si vain, si pompeux à dire, que le cinéma était art, création. Que le cinéma, qui jusque là avait été pour moi agréable et légère distraction, recelait la même sombre et puissante magie que certains livres.
Ce furent, donc, Les Damnés. Et tout ce que j'aimais, que je ne savais pas encore aimer, le crépuscule d'un monde ancien, les déchirements complexes de familles folles et malades et trop vieilles, la nécessité du sacrifice malgré tout, du combat malgré tout, dût-il se résoudre en vaine mort, la nécessité aussi de rappeler la fascination du mal, de ne jamais l'oublier, de ne jamais se reposer sur de confiantes certitudes, sans quoi on serait tout prêt à refaire le même faux-pas, oui, la nécessaire acceptation de la séduction des ténèbres pour mieux leur faire face, mieux les combattre. Et le cortège des amours interdites qui marche avec ce temps-là, ces êtres-là, ces passions-là: adultères, incestes, homosexualité, trahison. Des amours des marges, des frontières, déjà. Et la beauté androgyne, sombre, comme malsaine, d'Helmut Berger. Et l'identité-même de Visconti.
Ce furent ensuite tous ses autres films. Ce fut la magnifique lassitude des survivants du passé, de Dirk Bogarde dans Mort à Venise, de Burt Lancaster dans Violence et passion, de Ludwig et d'Elisabeth dans la neige et le deuil. Les combats perdus d'avance qu'il faut mener quand même, avec dignité.

Si j'étais un film, je serais l'un de ceux de Visconti.

Aucun commentaire: