vendredi 29 septembre 2006

"JE T'APPRENDRAI À TE BATTRE À L'ÉPÉE"

Puisqu'il faut le secret, je parle du passé.
Et ne publie ici que le souvenir que cette phrase de toi vient d'éveiller.
Rien que pour ça je t'aimerais, tu sais.

J’avais d’abord été malade, plusieurs jours, après la blessure de la flèche. J’avais la fièvre et David me soignait. Et au fur et à mesure de ma convalescence j’avais tout oublié. Alors il avait essayé de tout me réapprendre. Il disait que j’étais une princesse, que ma famille était grande et puissante, et je crois que je m’en moquais — mais pourquoi ?, il me semble que j’avais toujours su cela, même dans mon enfance, Shaya m’appelait princesse ou Morgana-la-Magicienne. Mais j’avais aussi oublié Shaya. Je les avais tous oubliés, même celui-là dont je n’ose pas penser le nom. Ou bien non, car n’y avait-il pas un jeune homme aux cheveux sombres et au teint pâle qui vivait près de moi et me montrait comment faire? Il mettait une grande épée dans ma main, comme si j’avais besoin d’une arme. Bien sûr je pouvais tenir cette épée mais où aurais-je appris à me battre ? Alors une flamme sombre passait dans ses yeux et il disait : « Je t’apprendrai. » Je voulais bien apprendre tout ce qu’il voudrait m’enseigner. Il disait que je savais tout cela depuis longtemps, mais ce n’était pas possible, comment pourrait-on oublier de pareils réflexes, et je disais que ce n’était pas vrai et je courais passer ma rage dans la forêt dévastée. Il venait me chercher, toujours au bon moment. Il disait : « Rentrons. Il va faire nuit. Cela peut bien attendre demain. » Il y avait cette vieille maison dont nous n’occupions qu’une partie, et ce jardin en friche — comment pouvait-il ne rien me rappeler ? Mais certains jours je n’avais pas envie de me souvenir. L’homme de haute taille aux cheveux de nuit qui guidait ma main avec une espèce de tendresse douloureuse, réprimée, je l’avais toujours aimé, n’est-ce pas ? je me souvenais de cela. Nous étions dans cette vieille cour aux pavés ébréchés, je m’étais plutôt bien battue, il me regardait en souriant et je le lui ai dit :
« Je me souviens que je t’aime. »
Et le sourire s’est éteint, il y avait cette espèce d’affreuse douleur sur son visage que je ne comprenais pas — ou qu’elle ne comprenait pas, comment pourrais-je maintenant ne pas la comprendre —, il a dit : «Non», il a fait demi-tour, il est rentré dans la maison. J’ai crispé mes mains sur l’épée, j’ai donné un grand coup dans le premier arbre et j’ai fendu le tronc jusqu’au cœur. Personne n’avait une telle force, en tout cas pas une jeune fille comme moi, alors il avait dit la vérité et les miens étaient bien ces princes-sorciers aux pouvoirs démesurés — et si moi je ne voulais pas ?
Il tisonnait le feu avec des gestes brusques qui ne lui ressemblaient pas, car il avait la main la plus sûre que je connaisse. Je suis restée appuyée au mur derrière lui, j’ai murmuré :
« Tu ne me crois pas.
— Tu ne peux pas avoir un tel souvenir. » Il parlait sans se retourner, je savais bien pourquoi. J’ai demandé : « Je ne te connaissais pas, … avant ? »
Il a hésité : « Si peu. Nous n’avions pas… ce genre de rapports.
— Je t’aimais. Je t’aime. C’est la seule chose dont je sois sûre.
— Tu ne sais pas ce que tu dis, Morgana. »
Il y avait quelque chose qui l’effrayait mais je ne voulais pas m’y arrêter. Je suis venue près de lui. Le feu brûlait trop haut et ma peau me cuisait. J’ai dit : « Je suis une princesse, une sorcière ?
— Oui, et plus encore.
— Ce que je suis m’interdirait de t’aimer ?
— On peut le dire comme cela. »
J’ai souri. Maintenant je me sentais ivre et forte, et assurée. J’ai dit : «Heureusement j’ai perdu la mémoire, grâces en soient rendues aux dieux, je ne suis plus que Morgana et ma mémoire comme le reste est entre tes mains. » Très vite j’ai passé les doigts dans les flammes, il a crié, saisi ma main, je n’avais pas très mal, j’ai dit : « Il y a toutes sortes de baptêmes. », il a posé ses lèvres sur la brûlure, je n’avais plus mal du tout, « Toi aussi tu es un sorcier, David. » et je pouvais voir son amour et son désir mais il dit : « Je ne peux pas faire ça, je ne dois pas. » et il s’est enfui encore une fois.

(Journal de Morgana)

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