mardi 19 février 2008

DISSERTATION (2)

L’association entre la Maison Serpentard et les Pratiques Obscures serait-elle entachée des mêmes préjugés ?
Force est de constater que le Choixpeau n’en fait jamais état dans ses descriptions des quatre Maisons, mais cela n’est pas probant : le Choixpeau est le garant des traditions de Poudlard et de sa ligne directrice, qui a toujours exclu l’enseignement de la magie noire à ses élèves. L’analyse des statistiques du Ministère de la Magie est à nouveau éclairante : sur les deux derniers siècles, 70 % des artefacts de magie noire ont été saisis chez des familles liées à la Maison Serpentard, mais seulement 37 % des condamnations pour pratiques de sortilèges de magie noire concernent ces familles. Cette disparité est aisée à expliquer : les artefacts en question sont pour la plupart très anciens, transmis de génération en génération, et se trouvent donc majoritairement en possession des vieilles lignées de sorciers.
Le même argument peut être appliqué, sous une forme atténuée, à la pratique des Maléfices. D’après les Sorts & enchantements anciens et oubliés (Olde & Forgotten Bewitchments & Charmes), nombre de ces sortilèges « oubliés » l’ont été par la volonté des sorciers ou de leurs autorités, parce qu’ils témoignaient d’une « vision obsolète du monde ». C’est à ces sources et à cette vision que s’abreuve la magie noire : un temps où les valeurs étaient différentes et où la voie des ténèbres était souvent considérée comme une réponse acceptable aux ténèbres du monde.(1) Les sorciers des anciennes familles ont plus facilement accès à ce savoir, soigneusement exclu des bibliothèques officielles ou protégé par de puissants enchantements restrictifs. Il ne faut pas sous-estimer le rôle de cette facilité. La pratique de la magie noire repose sur une forme de tentation, comme le souligne l’excellent Affronter l'ennemi sans visage (Confronting the Faceless): «Certains, très rares, ont la force de volonté nécessaire pour résister à cette tentation. Mais heureusement pour notre monde, d’autres, beaucoup plus nombreux, n’y sont simplement jamais confrontés.» Ne s’agit-il pas là de la plus lucide analyse de l’affinité des Serpentards avec la magie noire? Ils ne sont ni plus faibles ni plus vicieux que les élèves des autres Maisons, ils sont seulement plus souvent confrontés à cette tentation.
Et la plus grande des tentations fut celle initiée par les deux grands mages noirs de notre siècle. On l’a dit, tous deux ont choisi de défendre une vision traditionaliste de la société et d’encourager les familles de «sang pur» à lutter contre l’influence croissante des Moldus. Sans doute faudra-t-il de longues années avant que quelqu’un ait le recul et la sérénité nécessaire pour écrire une histoire critique de ces périodes sombres, mais on peut déjà se demander si cette décision de Grindelwald et de Volde Vous-Savez-Qui n’a pas été motivée par l’intérêt autant que par l’idéologie. Il s’agissait d’un moyen sûr de recruter des partisans, parmi les plus riches en savoir, en terres et en or du monde sorcier, d’exploiter leur amertume nourrie par les événements des trois siècles précédents et d’utiliser leur désir de revanche. Parmi tous les suivants de Grindelwald, rares furent ceux qui ont pris son parti par affinité avec les pratiques obscures, bien plus nombreux ceux qui l’ont fait par conviction politique, par incompréhension face à l’évolution rapide du monde et à la place croissante prise par les Moldus, par peur d’un avenir inconnu.

Et s’il est une valeur qui peut-être réellement associée à la Maison Serpentard, c’est bien le traditionalisme. Au XIXe siècle, alors que l’agitation sociale commençait à se calmer, Victor Caspar Bulstrode fut le plus traditionaliste des Ministres de la Magie, Phinéas Nigellus le plus traditionaliste des directeurs de Poudlard(2). Tous deux avaient fait leurs études au sein de la Maison Serpentard. Ce traditionalisme n’est-il qu’une régression, un frein pour l’avancée de la société des sorciers? Ou peut-il lui apporter des forces positives?
Les Serpentards et leurs sympathisants sont aussi par essence des gardiens de la tradition, permettant la préservation du savoir et la transmission de la mémoire du monde sorcier. Ce sont là de nobles missions qui ne doivent pas être sous-estimées.
Ce rôle a pris de nombreuses formes au fil des siècles, la plus évidente étant celle de la conservation et de la garde d’artefacts magiques qui auraient certainement été perdus sans leurs soins. Certes il y avait parmi ces artefacts des objets liés aux Arts Sombres, mais aussi des trésors, tels que les Cœurlumières, rares et précieux objets de Défense contre les Forces du Mal(3). La famille McLaggen est célèbre pour le Cœurlumière qu’elle détient depuis quatre siècles et qui veille sur ses héritiers à chaque génération : si ce n’est plus le cas de son chef de clan actuel, elle a été longtemps affiliée à la Maison du Serpent. Le plus grand et le plus puissant des Cœurlumières a longtemps reposé au sommet d’un phare en Ecosse, sous la garde de la famille Stevenson, assurant la sauvegarde non seulement des sorciers des environs mais aussi des marins Moldus. Il est utile de rappeler que Septimus Stevenson, le dernier représentant de cette famille et lui-même ancien élève de Serpentard, est mort en essayant de défendre le phare contre les partisans de Grindelwald en 1943.
Les Serpentards ont aussi préservé de nombreux manuscrits et grimoires de magie et d’histoire. Nombreux furent ceux qui risquèrent leur vie pour soustraire de tels livres à l’Inquisition, tels que Bence Malefoy, décoré de l’Ordre de Merlin, première classe, pour s’être introduit au début du XIVe siècle dans une place-forte de l’Inquisition en Italie du Nord et y avoir soustrait cent six grimoires de sorcellerie, pour la plupart exemplaires uniques ou originaux de grand prix. Le sortilège de Gèle-Flamme, célèbre pour avoir trompé maints Inquisiteurs sur des bûchers de sorcières, a été conçu au départ pour sauver des bibliothèques par Isabella D’Arcy, une élève de Salazar Serpentard lui-même(4). Parmi les sorciers antiques honorés dans la Maison Serpentard, et dont le portrait figure dans leur Salle Commune, se trouvent Hipatia et Eratosthène, les mythiques sorciers qui ont transplané à soixante-sept reprises dans la bibliothèque d’Alexandrie en flammes pour en sortir des manuscrits, et n’ont pas survécu à la soixante-huitième…(5)
C’est encore à des Serpentards que l’on doit la conservation de sorts tels que Priori Incantatem ou le sortilège de Réclusion, tous deux «perdus» pendant les grandes guerres contre les Géants, et réintroduits en Angleterre par la famille Strange qui les a mis au service des enquêteurs (pour le premier) et des chambres-fortes (pour le second) du Ministère, à une époque où les soulèvements gobelins avaient conduit la plupart des sorciers à retirer leurs biens de Gringotts et à chercher d’autres protections.
Cette position de gardien des traditions et de garant de la mémoire a conduit les Serpentards à être souvent nommés à des postes clefs tels que Directeur des Archives du Ministère, chef du Département des Mystères, ou, dans des temps plus anciens, Sénéchal d’Angleterre(6).

Cependant les membres de cette Maison ne se bornent pas à un rôle de préservation et de transmission, si important soit-il. Les Serpentards ne sont pas tout entiers tournés vers le passé. Il nous faut à présent aborder l’ultime facette de cette Maison, sans doute la plus difficile à cerner et la plus précieuse... À SUIVRE



1 : Grandes Noirceurs de la magie (Magick Most Evile)
2 : Histoire de Poudlard, chapitre XXXII, «Le retour à l’austérité : Poudlard à l’ère victorienne»
3 : Les Forces du Mal surpassées (The Dark Arts Outsmarted), chapitre IV, « Artefacts et sortilèges de la Lumière »
4 : Guide de la Sorcellerie Médiévale, « Le temps de l’Inquisition »
5 : Les sites historiques de la sorcellerie, « L’Empire romain »
6 : Archives officielles du Ministère de la Magie, Postes officiels

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