jeudi 7 juillet 2016

BREXIT BLUES


J’aime la Grande-Bretagne.

Depuis si longtemps. Depuis Merlin et Arthur, déjà un héritage partagé, depuis le Mabinogion, même. Depuis ces résistants-à-l’envahisseur, plus graves qu’Astérix, adolescente j’avais écrit un poème titré Arviragus, et il ne parlait pas de Vercingétorix.
Je l’aime comme j’aime Les Celtiques d’Hugo Pratt, un si bel album européen même s’il affiche des couleurs britanniques, on y voit certes Corto endormi dans Stonehenge, adoubé défenseur des Îles Britanniques contre l’envahisseur allemand, mais aussi la Peite-Bretagne, et l’Eire, et le front de la Première Guerre Mondiale.
Comme j’aime la force incroyable du Royaume-Uni pendant la Deuxième Guerre, et Churchill avec ses contradictions magnifiques et son panache, et « Keep calm and go on ».

Comme j’aime Harry Potter aussi parce qu’il est anglais, parce que Poudlard-Hogwarts ressemble à un collège britannique.

Comme j’aime Tolkien, depuis avant ma naissance, j’ai déjà raconté cette histoire-là et ce substrat légendaire est bien celui de la Grande-Bretagne, de ses mythes-en-formation, de son histoire, de ses langues emmêlées, de ses campagnes so hobbit-like.

Comme j’aime les bow windows.

Comme j’aime Jane Austen, et sa finesse, et ses héroïnes qui ne sont jamais mièvres, qui sonnent si juste, et son humour. Surtout son humour.

Comme j’aime Evelyn Waugh. Comprenez-moi, je ne lis pas de livres comiques, je n’ai peut-être pas le sens de l’humour — sauf celui-là, leur sens à eux, leur nonsense parfois.

Comme j’aime Virginia Woolf et ses vertiges, comme j’aime Oscar Wilde, comme j’ai créé autrefois un personnage qui s’appelait Virginia et qui tenait à la fois de Woolf et de la petite héroïne du Fantôme de Canterville.

Comme j’aime Peter Pan et Alice, qui sont beaucoup plus que des enfants.
Et Neil Gaiman, qui est, entre autres très nombreuses choses, l’héritier de cette tradition-là.

Comme il y a quelques mois, quand une collègue sur Twitter s’amusait à nous demander si nous préférions « Racine ou Shakespeare », je n’hésitais pas une seconde, je faisais le même choix que la génération romantique : le Barde, of course !

Et Mary Shelley. Et Rosamond Lehmann. Je lis Walter Scott au Petit Magicien.

Vous allez croire que de la Grande-Bretagne je n’aime que ses livres.

Non, non. J’aime ses rois compliqués, j’aime ses rois Normands, ça aussi c’est une histoire commune, et nous n’avons pas rendu Richard (vous savez tous que j’aime Richard), j’aime Henry à Azincourt, j’aime la Guerre des Deux Roses, et débattre de la culpabilité de Richard III, j’aime les corbeaux de la Tour de Londres (j’ai écrit sur eux, vous vous souvenez), j’aime ses folies victoriennes.
Quand j'invente des uchronies elles sont presque toujours britanniques.

J’aime qu’il existe un Shadow Cabinet.

J’aime le thé. Je peine à m’en passer. J’ai une théorie sur ses pouvoirs magiques, ça aussi c’est une histoire que j’écrirai peut-être un jour.

J’aime les Beatles, David Bowie, Ian McKellen, les acteurs shakespeariens en général.

J’aime Sherlock, et Downtown Abbey. Pour des raisons très différentes, ou peut-être pas tant que ça, parce qu’elles sont des facettes de l’Angleterre. Je sais que vous direz : l’Angleterre que nous rêvons. Mais l’Europe est un rêve aussi. Et j’aime Ken Loach.

J'aime Londres. Je peux lui parler à haute voix, comme John Constantine dans un épisode de Sandman.

J’aime ses paysages, j’aime ses châteaux. Nos voyages de ces dernières années nous ont menés en Cornouailles et au Pays de Galles (et en Irlande, qui compte presque). L’Ecosse est sans doute le lieu que je préfère au monde.

J’aime sa pluie, sa mer trop froide, j’aime ses verts. Je me suis déjà baignée dans des lochs écossais.

J’aime sa langue. Parfois je rêve en anglais, parfois j’écris en anglais et je n’arrive pas à traduire.

J’aime le porridge. Je vous jure. Vous me croyez, maintenant ?

Je sais, je sais.
Cela ne change rien. Brexit ou pas, je pourrai continuer d’aimer tout cela. Et je continuerai.
Mais cela change quelque chose à mes rêves, à mon identité.
J’ai souvent dit que je me sentais Européenne avant de me sentir Française. C’était aussi à cause de tout cet amour. Et maintenant, je ne sais plus de quelle Europe je suis, s’il en est une.

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